Romain de Tirtoff (1892 – 1990) a fait de ses initiales prononcées à la française, le patronyme Erté à jamais lié à la mode, aux spectacles de music-hall et à l’esprit Art Déco, mouvement dont il est aujourd’hui reconnu comme le leader.
La Genèse de l’art de Romain de Tirtoff se trouve dans sa ville natale, Saint-Pétersbourg, une ville francophone où l’art est omniprésent dans la première décennie du 20e siècle. En effet, si Erté commence à travailler pour des spectacles d’Opéra après 1945, il se nourrit depuis toujours de sa passion pour les ballets russes et des souvenirs de représentations du Théâtre Maryinsky qui ont bercé son enfance. Puisque ses parents avaient un abonnement au fameux théâtre de Saint Pétersbourg, le jeune Romain pouvait y aller chaque mardi, voir et écouter Rimsky-Korsakov (un ami de son père), Sarah Bernhardt dans la Dame aux Camélias ou encore assister aux débuts de Serge Prokofiev en 1911.
Parallèlement à la musique, le Ballet eut un fort retentissement sur le jeune garçon qui à 9 ans débute des leçons de danse avec le grand chorégraphe Petipa. Tiraillé entre la danse et le dessin, Romain de Tirtoff hésita longuement entre ses deux passions. Finalement, il choisit le dessin, convaincu qu’il ne pourrait se passer de dessiner chaque jour, alors qu’il lui arrivait d’oublier de danser au quotidien.
L’influence de sa ville natale se retrouve dans sa nature poétique, rêveuse et parfois dramatique. Lors de ses longues visites à l’Ermitage, il observe assidûment les vases grecques, les miniatures persanes, les arabesques orientales et la solide noblesse de l’art russe. Toutes ces influences se retrouveront plus tard avec une infinie subtilité dans sa production.
S’il quitte officiellement Saint Pétersbourg en 1912 pour étudier l’architecture à l’École des Beaux-Arts à Paris, en réalité le jeune homme a déjà signé avec le magazine de mode « Damiski Mir » un premier contrat, pour lequel il s’engage à envoyer les dessins de la mode parisienne afin de subvenir à ses besoins - en complément de l’allocation versée par son parrain chaque mois. Le jeune homme arrive dans un Paris vivant au rythme des Ballets Russes de Diaghilev depuis 1909. Il y trouve immédiatement sa place.
En 1913, il travaille déjà pour Paul Poiret, le plus célèbre couturier de l’époque, et dessine son premier costume de théâtre pour une certaine Mata Hari… Il ne travaillera que dix-huit mois sous la direction de Paul Poiret, qui doit cesser son activité lorsqu’éclate la Première Guerre Mondiale. Mais il y aura reçu une formation exceptionnelle, faite du souci de la perfection, d’un profond respect de l’importance du dessin et de la ligne, ainsi que des multiples petits secrets qui se cachent dans les entrailles des costumes de scène.
Établi à Monte Carlo en 1915 il commence ses premiers envois au Harper’s Bazar. C’est le début d’une remarquable collaboration avec l’influent magazine de mode pour lequel il réalise un total de 240 couvertures. Entre 1915 et 1936, il enverra pas moins de 2500 dessins pour les pages intérieures du magazine qui avait un contrat d’exclusivité avec lui.
A partir de 1916, Erté consigne dans ses archives toutes ses créations et conserve une copie de chacune de ses gouaches. Est-ce pour s’assurer qu’on ne lui vole plus la paternité de ses créations, comme cela avait pu être le cas chez Poiret ? Chaque dessin est titré et numéroté, parfois daté. Les commandes et les spectacles sont inscrits dans de grands registres. Ce travail méthodique n’est pas sans rappeler la rigueur militaire des officiers de marine dont il est issu. Ces archives permettent surtout d’apprécier aujourd’hui toute la fertilité de son imagination et de suivre avec précision l’évolution de ses commandes.
Les spectacles de Music-Hall connaissent leurs plus grands succès en France entre 1919 et 1953, et Erté y participe grandement, notamment grâce à sa longue collaboration avec Max Weldy, le costumier des Folies-Bergères dès 1919. Puis en 1933, il commence une longue collaboration avec Pierre Santini au Bal Tabarin qui s’achèvera en 1952.
Entre 1925 et 1926, Erté bénéficie d’une renommée internationale, qui le conduira jusqu’à Hollywood où il travaille un temps pour la Metro-Goldwin-Meyer. C’est à lui que l’on confie la réalisation des décors et costumes de nombreux films parmi lesquels "Ben Hur" et "La Bohème". Mais l’aventure hollywoodienne tourne court devant les incohérences du scenario de « Paris » auquel Erté refuse finalement d’être associé.
Le journaliste Maurice Feuillet écrit dans le Gaulois Artistique du 21 avril 1927 : « Erté est non seulement inventeur de frivolités, costumier habile, magicien du décor et enchanteur de fééries, il est surtout créateur de symboles, et c’est peut-être l’une des formes les plus attachantes de son talent. »
Car en effet, l’homme crée et crée chaque jour des objets dont la forme, la teinte et la singularité les feront adopter par la Mode dans le monde entier.
Le théâtre avec ses ballets, ses féeries et ses spectacles merveilleux, où, sous les feux des rampes et des projecteurs électriques, dans le brasillement des lumières, l’irréel se mêle au réel et la fiction devient réalité, est un empire qu’Erté affectionne, car il s’y trouve à l’aise pour donner corps à ses fantaisies. Ayant déjà réalisé des costumes pour des actrices et des cantatrices lors de spectacles ponctuels, il aura à partir de 1945 des commandes pour l’intégralité des décors et des costumes d’Opéra et de Ballet qui lui vaudront un immense succès.
Erté sera toujours intransigeant sur le raffinement de ses décors, élaborés dans un parfait souci d’équilibre et de grâce.
En parcourant les archives et les articles de l’époque, on imagine le caractère intransigeant de l’artiste sous celui d’un homme humble et modeste qui se réjouit, alors qu’il a connu de nombreux succès, de l’accueil extrêmement favorable des expositions à la Grosvenor Galleries de Londres et de New York en 1966 et 1967. Le Metropolitan Museum salue son génie en se portant acquéreur de l’intégralité des 170 œuvres présentées lors de cette rétrospective et qui seront montrées au public l’année suivante dans l’exposition « Erté et ses contemporains ».
Toujours en quête de nouvelles aventures, Erté commence à 70 ans une nouvelle carrière de sculpteur et de lithographe qui lui permet la diffusion de ses plus belles créations auprès d’un nouveau public. Parmi les plus célèbres, citons l’alphabet anthropomorphe dont chaque lettre est représentée par des corps de femme en mouvement créé en 1928, les nombres dans le même esprit, les bijoux, les saisons ou encore les quatre émotions.