Ambiguë et paradoxale, la figure mythologique de Méduse fascine les artistes et captive les spectateurs depuis près de trois millénaires. Effrayante, protectrice, séductrice, mélancolique ou révoltée, de l’Antiquité grecque à nos jours, Méduse est la figure à la fois de l’horreur et de la beauté. Elle devient même icône de la femme fatale à partir de la fin du XIXe siècle. C’est une figure dont s’emparent de nombreux artistes du courant symboliste.
Dans les premières représentations, sa face ronde aux yeux écarquillés et à la bouche grande ouverte exprime la terreur et le grotesque. Cette image primitive évolue pour se transformer au fil des siècles en une belle et séduisante jeune femme dont la fatalité prend un autre sens.
Au XIXe siècle, la lecture romantique du personnage permet le développement du caractère mélancolique de Méduse, l’univers dans lequel elle bascule devient le reflet de l’accablement qui gagne les artistes face à la modernité industrielle. C’est dans ce contexte que la quête esthétique évolue, la notion de « Sublime » occupe désormais une place centrale ; elle est le produit de la tension entre la beauté et l’horreur, fruit d’une expérience plastique extrême, capable de transcender le beau et de renverser les notions d’harmonie et d’équilibre inhérentes à la beauté classique. Elle est intimement liée à la confrontation brutale avec l’incommensurable, renvoyant ainsi l’être à son insignifiance ; reconnaissable à l’effet qu’elle produit, la sublime déclenche chez le sujet un saisissement immédiat. Quelle figure mieux que la pétrifiante méduse pour incarner cet effet de sidération instantanée ? Le paradoxe de la condition de Méduse fait d’elle la personnification de la notion de Sublime ainsi que la métaphore parfaite de l’art et de l’effet de l’art sur le spectateur qu’elle s’apprête à transformer en pierre.
L’œuvre de Rieper est représentative de cette figure de Méduse comme femme fatale qui tend à perdre son aspect monstrueux pour devenir un symbole à la beauté énigmatique. Il la représente avec les caractéristiques classiques du personnage antique : chevelure serpentine, yeux écarquillés, facialité torturée.
Les serpents menaçants de sa chevelure se dressent et accompagnent le regard fixateur de Méduse. De ses yeux exorbités et fous, elle s’apprête à pétrifier celui qui la regarde. Ses mains vieillies aux doigts contractés accompagnent ce regard dans son désir de nous captiver et nous jeter son funeste sort. On note également la présence de deux serpents autours des poignets de Méduse qui semblent la menotter pour mieux la retenir dans sa condition. Ses mains levées évoquent également une manière de prouver son innocence, puisque ce sinistre pouvoir n’est pas de sa volonté mais une fatalité qui lui est imposée : à la fois bourreau et victime, elle implore du regard tout en envoûtant le spectateur.