Némésia

Némésia
Aquarelle, pastel et crayon sur papier signé et daté en bas à gauche 'Fernand Khnopff (18)95'
Dimensions : 
41,7 x 12,7 cm
Dimensions avec cadre : 
67 x 34 cm
Exposition : 

Bruxelles, Musées royaux de Peinture, Les Aquarellistes, 1896, n° 88. 

Description de l'oeuvre

Exécutée par l'un des plus importants artistes symbolistes belges, cette œuvre sur papier est l'un des rares exemples d'aquarelles aussi abouties de Fernand Khnopff à réapparaître sur le marché de l'art.

Cette femme ornée de bijoux, à la chevelure rousse abondante et au visage énigmatique, est représentée avec des branches de fleurs orangées et blanches devant elle. Une inscription postérieure au verso du carton de l'artiste précise le thème iconographique : « Nemésia. Fantaisie allégorique inspirée d'une fleur nouvellement importée du Congo à la fin du XIXe siècle ». La némésia est une espèce de fleur originaire du sud de l'Afrique, où le célèbre jardinier anglais Sutton l'a découverte en 1892. C'est l'une des plus belles fleurs nouvellement découvertes en raison de la luminosité et de la pureté de ses couleurs, qui vont du blanc au jaune, au rose, au saumon, à l'orange et au cramoisi.

Les fleurs sont revenues à la mode au XIXe siècle, leur popularité étant renforcée par l'attention portée à l'industrie et au commerce. L'Exposition universelle de Paris de 1878 avait consacré une section entière à la floriculture, tant industrielle que domestique. Dans les immenses serres du Champ-de-Mars, Khnopff, comme les écrivains Huysmans et Villiers de L'Isle-Adam, découvre les charmes mystérieux de cette fleur que Baudelaire avait intimement associée au mal. Parmi les attractions, citons également la serre de M. Linden, jardinier gantois de renommée internationale, dont les espèces rares importées d'Amérique latine suscitent l'enthousiasme du public et des spécialistes. Ce même Linden avait fondé en 1854 la revue L'Illustration Horticole qui, jusqu'en 1896, informait ses lecteurs des espèces rares, du sens caché des différentes plantes et de leurs spécificités. La revue fournit également un riche répertoire de motifs symboliques dans lequel Khnopff va puiser, notamment pour sa représentation de la vengeance dans notre pastel Némésia (1895). Selon Draguet, « ici la femme ne joue plus avec la fleur comme emblème, elle en est devenue l'incarnation allégorique. »

Notre pastel pourrait être une recherche sur le poème de Stéphane Mallarmé de 1892 En écoutant les fleurs. Khnopff a réalisé le frontispice, et le dessin final présente un certain nombre de similitudes avec Némésia : le cadrage long, et une femme en pied à la chevelure fluide encadrée d'une multitude de fleurs.

Dans le corpus graphique de Khnopff, un autre parallèle peut être établi avec cette toile inachevée, dessinée au fusain et peinte à l'huile vers 1910, quinze ans après Némésia, et intitulée Chimère, aujourd'hui conservée au musée d'Ixelles. Elle représente exactement la même femme, tenant elle aussi un bijou à deux mains et s'apprêtant à le nouer autour de son cou.

Consacrant la quasi-totalité de son œuvre à la représentation de la femme, Fernand Khnopff met ici en scène Elsie Maquet. C'est grâce à sa connaissance de la communauté britannique de Bruxelles que Khnopff a rencontré la famille Maquet, d'origine écossaise, qui vivait dans le quartier Léopold de la ville. Le teint pâle, les cheveux longs et les yeux vifs des trois filles Maquet - Elsie, Lily et Nancy - incarnent l'idéal de beauté féminine de l'artiste. À partir de 1891, après le mariage de sa sœur Marguerite l'année précédente et son installation à Liège, Khnopff utilise souvent les trois sœurs Maquet comme modèles.

La présente œuvre est probablement un portrait d'Elsie, l'aînée des filles Maquet, née à Glasgow en 1868. Avec ses longs cheveux roux, Elsie Maquet a posé pour plusieurs peintures et dessins importants de Khnopff. Il s'agit notamment de deux œuvres inspirées d'un poème de la poétesse anglaise Christina Rossetti : le tableau I Lock the Door Upon Myself, aujourd'hui conservé à la Neue Pinakothek de Munich, et le dessin au pastel Who Shall Deliver Me ? (fig.1) conservé dans une collection privée ; les deux œuvres ont été achevées en 1891. Elsie Maquet a également servi de modèle pour le tableau A Blue Wing de 1894, aujourd'hui conservé dans une collection privée belge.
Les visages des femmes représentées dans ces œuvres présentent un aspect de transe et, à plusieurs reprises, l'artiste a ajouté des touches de craie bleue pour souligner les yeux du sujet. Les portraits réalisés avec cette technique enchantent par leur finesse et la musicalité des traits. Les traits du visage des femmes apparaissent comme de la mousse sur le papier. La fragilité de ces visages a quelque chose de séduisant.

C'est également à cette époque que Khnopff met au point une composition caractéristique de nombre de ses peintures et dessins de femmes, dans laquelle la tête du modèle est coupée en haut et/ou sur les côtés par les bords du papier ou de la toile, ou par un dispositif d'encadrement, et placée près du plan de l'image, de manière à concentrer l'attention du spectateur sur le visage. L'accent mis sur le visage d'une femme suggère également un masque - motif central de l'art symboliste - derrière lequel se cache la véritable nature du sujet.

Les remarques de Geneviève Monnier sur l'utilisation par Khnopff du pastel et des craies de couleur, séparément ou en combinaison, peuvent être considérées comme particulièrement pertinentes dans l'exemple de ce dessin saisissant. Comme elle l'écrit, « les craies de couleur offrent un support plus précis, plus délicat, les couleurs plus pâles appelant un traitement plus minutieux, tandis que le pastel offre une plus grande intensité en termes de ligne, de couleur et de grain. En effet, l'une des caractéristiques de l'œuvre de Khnopff est cette texture granuleuse particulière du médium colorant, obtenue sans utiliser le grain de la surface du papier comme le faisait Seurat dans ses dessins. Sa méthode s'apparente au pointillisme, les traits de pastel effleurant le papier. Les couleurs de Khnopff jouent souvent sur des harmonies mélancoliques de blanc, de gris et de mauve. Ses visages sont très pâles, presque exsangues ; ils appartiennent à des créatures aux cheveux roux et aux yeux étrangement colorés (comme l'eau glacée ou la roche cristalline), errant dans un autre monde, un monde au-delà du miroir ».

 

Provenance

Marquis de Grammont, Paris (selon R. Delevoy).
Bernard de Grammont, Paris (selon R. Delevoy).
Collection particulière parisienne.

Littérature

G. Deltour, Fernand Khnopff, in La Belgique d'Aujourd'hui, Berlin-Charlottenburg, s. d. 
E. Louis, ‘Les Expositions. Le Salon des Aquarellistes’, in La Fédération Artistique, Bruxelles, 29 novembre 1896, n° 50.
L. Dumont-Wilden, Fernand Khnopff, Bruxelles, 1907, p. 72.
‘Fernand Khnopff’ in Notices Biographiques et Bibliographiques concernant les Membres, les Correspondants et les Associés. 1907 - 1909, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 1909, p. 754.
M. Biermé, Les Artistes de la Pensée et du Sentiment, Bruxelles, 1925, p. 3.
J. Delville, ‘Notice sur Fernand Khnopff’, in Annuaire de l'Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 1925, p. 25.
R. L. Delevoy, C. de Croës, G. Olliinger-Zinque,
Fernand Khnopff, Bruxelles, 1987, n° 256, ill.
M. Draguet, Portrait of Jeanne Kéfer, Los Angeles, 2004, p. 75, fig. 68.
M. Draguet, Fernand Khnopff, cat. exp., Paris, Petit Palais, 2018, n° 96, ill.

Œuvres disponibles

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